Le Grand voyage

Jorge Semprun

[Paris]

Gallimard

1963

233p.

L'auteur a laissé passer dix-sept ans avant de raconter cette histoire : en hiver 1943, le narateur, Gérard dans la Résistance, âgé de dix-neuf ans et considéré par tous comme "le rouge espagnol" est arrêté près d'Auxerre par la Gestapo. Après un séjour à la prison de Compiègne, il est embarqué vers l'Est : cent vingt hommes debout dans un wagon à bestiaux vont passer cinq jours et cinq nuits de cauchemar avant d'arriver au terme du grand voyage : un camp voisin de Weimar. Ce trajet est morcelé sans cesse par les interférences des multiples passés de Gérard et d'un avenur anticipé qui, déjà, est vécu et comme transfiguré par le narrateur : l'enfant exilé d'Espagne en 1939, l'étudiant au lycée Henri IV, le maquisard, le déporté, le libéré. Evoqués avec une obsédante simplicité, ces fragments de temps vont s'agencer, se superposer, construisant petit à petit un hallucinant paysage mental : il y a la vallée de la Moselle sous la neige, le "gars de Semur" qui meurt debout dans le wagon, appuyé contre son compagnon, l'entrée au camp sous de triomphants jeux de lumière; il y a l'amitié, la délivrance, le retour.
Ce premier livre du romancier espagnon Jorge Semprun, écrit directement en français, au lieu d'être un "témoignage" ajouté à tant d'autres sur l'expérience concentrationnaire, est une oeuvre d'art au sens le plus large et le moins ambigu du terme.

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